George Etherege, « L'homme à la mode » (XVIIe s.) , premier acte. Il s'agit
d'une adaptation: cette pièce semble n'avoir jamais été traduite
en français parce qu'elle est une critique (mêlée de fascination)
du "dandinisme" français qui a précédé le dandysme. L"Homme à la
mode" a un pseudo accent français et parle un langage émaillé de
mots de pseudo français,ce qui nécessitait une transposition.
Résumé:
A Yorkenouille, au pays d'Anglosaxie, les gens portent des perruques et se baladent en chaise à porteurs, tout comme au XVIIe siècle. C’est déjà moins polluant que les calèches à six chevaux. Un libertin désargenté se rit du puritanisme ambiant et s'enferre dans ses trop nombreuses intrigues amoureuses. Cela le condamnera-t-il au mariage? Va-t-il quitter sa décadence sans fracture ni révolution, ou est-il définitivement irrécupérable ?





Frank Wedekind, « L'éveil du printemps » (XIXe s.) , deux premières scènes.

J'ai traduit ces deux pièces entièrement.





L'HOMME A LA MODE
une traduction de l'anglo-saxon

de George Etherege
jouée et publiée pour la première fois en 1676, inédite en français.
The Man of Mode, in: Restoration and Eighteenth-Century Comedy, a Norton Critical Edition

Prologue (d'après Sir Car Scroope)

Les artistes qu'on voit aujourd'hui sur les scènes
Des night-clubs équivoques où le HIV traîne
Laissent souvent leur peau dans les arènes
Où leur soif de louange les enchaîne.
Le spectacle est pour eux, pauvres danseurs de corde,
Un jeu bien trop excitant pour qu'ils en démordent.
L'inspiration les flatte avec un air timide,
Comme une fille encore inexpérimentée;
Mais quand leur vanité par elle est chatouillée,
Ils se perdent pour elle et tombent dans le vide.

Ce soir, venez revoir une ancienne maîtresse
Que vous méprisiez jadis avec tendresse.
Depuis, vous vous êtes vautrés dans tant de boue
Qu'une idole naïve vous ferait la moue.

Sur nos scènes, souvent, la grâce fait la place
A des révoltes ivres, à d'absurdes grimaces,
Et à des personnages sordides et vils.
Le sol qui les fait croître est loin d'être stérile
Ou appauvri par un fréquent labour,
Car à vos portes on trouve tous les jours
Assez d'ordure pour le nourrir en compost:
C'est à votre folie que l'acteur doit son poste,
Tout comme un médecin vit par la maladie,
Mais faut-il censurer la comédie?


Liste des personnages

Micky
Medley, ami de Micky
Monsieur Beaulook père
Beaulook fils (amoureux de Felicité)
Sir Flashy Flop
Madame LAVILLE (soeur de M. Beaulook père)
Félicité
Madame Lovène (amoureuse de Micky)
Bellinda (amoureuse de Micky)
Madame Rosbrouf
Leyla, fille de Mme Rosbrouf
Perle et Zéline, deux femmes de chambre
Un cordonnier
Une vendeuse d'oranges
Trois gaillards négligés
Deux porteurs de chaise
Monsieur Smirk, un curé
Soulamin, un valet
Des portiers, des valets, etc.

Acte I
Scène 1

Une chambre à coucher. Une table couverte d'affaires de toilette. Entre MICKY, à moitié habillé, un billet à la main, en déclamant:

MICKY "Opprimé par le Nord à l'orgueil sans pareil,
A quoi bon voir encore l'éclat du soleil?"
Puis il regarde son billet.
"Pour Mme Lovène." Je manque d'inspiration pour ma soi-disant lettre d'amour. Je crois que je préfère encore remplir la déclaration d'impôts! Ma destinataire
va passer des heures à décortiquer chaque phrase, je le sens. - Eho! Soulamin !

Entre SOULAMIN.

SOULAMIN Oui ?

MICKY Appelle un commissionnaire.

SOULAMIN Ils sont tous encore au lit.

MICKY Les chiens! Toujours ronfler jusqu'à midi.

SOULAMIN C'est de boire votre argent, qui les fatigue autant.

MICKY Surveille un peu qui manque à sa tâche. Le prochain, je fais un exemple.
Qui est-ce qui crie comme ça, là- dehors?

SOULAMIN La marchande de fruits, avec le cordonnier.

MICKY La marchande de fruits? Appelle-la-moi, tiens. Les fruits sont rafraîchissants le matin.

SOULAMIN appelle par la fenêtre. Entre la MARCHANDE DE FRUITS.

MICKY Bonjour, Bouboule! Sont-elles bonnes, tes pêches? Elles ont une drôle d'allure.

MARCHANDE Vous, vous êtes un difficile. C'est comme quand il s'agit des femmes, vous n'êtes jamais content.
Elle dispose quelques fruits dans une coupe.
Voilà, dites à votre valet de me donner une pièce d'or.

MICKY [à SOULAMIN] Rends-lui ses fruits, à cette maquerelle!

MARCHANDE Quel toupet ! Goûtez-en une, au moins! - Je voulais vous dire: j'ai vu une jeune demoiselle qui vient d'arriver à Yorkenouille avec sa mère et qui s'intéresse beaucoup à vous.

MICKY Jolie?

MARCHANDE Mon Dieu oui. Une fraîcheur! Et une fortune astronomique, paraît-il. Un très bon parti. Alors, cette pêche, elle est pas bonne?

MICKY Comment me connaît-elle, cette fille?

MARCHANDE Elle vous a vu hier sous les arcades, avec votre bande de hachichins.

MICKY Ma bande de hachichins ?

MARCHANDE C'est ce qu'elle m'a dit. Elle m'a refait vos gestes, vos paroles, tout, c'était tellement drôle.

Entre MEDLEY.

MEDLEY Micky, ma vie, ma joie, mon péché mignon! Comment vas-tu?
Il l'embrasse.

MARCHANDE Quelle sale manie il a, celui-là, d'embrasser les hommes!
Elle crache.

MEDLEY Micky, ne me dis pas que tu as besoin de cette commère pour t'approvisionner en filles?

MARCHANDE [à Micky] Il fallait encore que ce mécréant vienne vous prêter main
forte! Payez-moi mes fruits, maintenant!

MEDLEY Ne te fatigue plus, maquerelle; grâce à des gens comme nous, ton métier est complètement démodé.

MICKY Tu la calomnies. Elle veut juste me marier.

MARCHANDE C'était dit sans arrière-pensée. J'ai ce qui convient aux goûts les plus exigeants.

MICKY Et pour lui? Trouve-lui de la compagnie!

MARCHANDE Qu'il aille se faire voir! Je lui recommande le cordonnier d'à côté, c'est un joli dégoûtant.

MEDLEY Empoisonneuse! Ce cordonnier peut témoigner que les médecins vous paient pour vendre des fruits trop verts et propager les maladies.

MARCHANDE J'attends toujours mon argent.

MICKY Pas un sou! Amène-moi d'abord la demoiselle dont tu m'as parlé!

MARCHANDE La demoiselle? Elle est peut-être aussi chaste qu'une bonne soeur, pour ce que j'en sais. Payez-moi, monsieur Micky! Vous êtes injuste avec moi. Vous savez bien que je fais un travail honnête.

MICKY Dis-moi juste son nom et je te paie.

MARCHANDE Elle me l'a interdit.

MICKY C'était pour être bien sûre que tu n'oublierais pas de le faire.

MEDLEY Où habite-t-elle?

MARCHANDE Elles logent dans ma maison, sa mère et elle

MEDLEY Voilà qui promet, maquerelle.

MARCHANDE Monsieur Medley, dites de moi ce que vous voudrez, mais faites attention en parlant de ma maison. Je loge des gens de bien, tout de même!

MICKY Quel genre de femme, la mère?

MARCHANDE Une belle dame, une riche propriétaire d'Ayatolie. Mais elle en veut à la jeunesse dissolue de Yorkenouille. Vous, si elle vous rencontre, elle va courir chez l'exorciste.

MICKY Parce qu'elle me connaît aussi?

MARCHANDE Tout le monde vous connaît! Elle a entendu cent histoire terribles à votre sujet.

MEDLEY Une mère paranoïaque. C'est sûrement madame Rosbrouf avec sa fille Leyla.

MARCHANDE [à part] Quel sorcier, celui-là! Il devine toujours tout!

MICKY Tu les connais?

MEDLEY Très bien. La mère est une nostalgique des bonnes manières de l'âge de glace.

MICKY Comme je la comprends! Et la fille?

MEDLEY Eh bien, d'abord, c'est une future riche héritière.

MICKY Et physiquement?

MEDLEY Très belle, malgré une certaine négligence vestimentaire. Une masse de beaux cheveux! De grands yeux rêveurs! Et une bouche! Ça ne se décrit pas.

MICKY Tu charries!

MARCHANDE Si, si, il vous dit juste. C'est une créature raffinée.

MICKY A-t-elle de l'humour?

MEDLEY Beaucoup, pour une femme. Mais en même temps, elle a quelque chose de grave et d'innocent.

MICKY Tu me donnes bien envie de la connaître.

MEDLEY Je me demande pourquoi sa mère l'amène encore en ville. D'habitude, elle la tient cloîtrée dans son manoir en Ayatolie.

MARCHANDE Pas beaucoup de jugeote, la mère. Hier, elle avait invité un juge; mais il n'a pas pu venir, il avait été arrêté pour pédophilie. Un juge!

MICKY Magistral!

MEDLEY Tu viens déjeuner? Il est déjà tard.

MICKY Va me chercher le cordonnier, Soulamin! Dis-lui qu'il me ramène mes bottes!

MARCHANDE Mon bon monsieur Micky, payez-moi! Je préfère encore vous donner mes fruits que de rester pour me faire insulter par ce mal embouché de cordonnier. Vous, encore, vous êtes de bonne famille, on vous supporte; mais ce pouilleux-là, c'est trop me demander.

MICKY Donne-lui dix pièces d'argent, Soulamin. - [À la MARCHANDE.] Quand tu reverras cette demoiselle, dis-lui qu'il faut que nous fassions connaissance!

MARCHANDE Et voilà, vous ne rêvez plus que de dévoyer cette jolie créature. Ah, si le ciel pouvait vous redresser!

MEDLEY Adieu, ogresse!

La VENDEUSE DE FRUITS et SOULAMIN sortent.

MEDLEY Tu as revu ta chère et tendre amie madame Lovène?

MICKY Non, pas depuis deux jours.

MEDLEY Vous êtes en bons termes?

MICKY C'est une femme terriblement violente. La liaison ne tient plus qu'à un fil.

MEDLEY Nerveuse et jalouse comme je la connais, elle va le faire craquer.

MICKY Je viens de lui écrire un billet pour essayer un raccommodage.

MEDLEY Un billet? Je peux lire?

MICKY Fais donc.

MEDLEY [lisant] "Je ne déteste pas le travail, je le hais! Lui qui m'empêche de te voir depuis deux jours entiers! Je viendrai cet après-midi en espérant rattraper le temps perdu." Le travail a bon dos, Micky! J'ai eu des échos sur toi: il paraît que tu as été dans une boîte à théâtre avec une femme en mini-burqa. Si Mme Lovène apprend ça, tu auras beau lui écrire les billets les plus tendres...

MICKY La belle affaire! Tiens, ça doit faire au moins une semaine que plus aucune femme ne m'a fait de scène.

MEDLEY Comme c'est choquant! Je peux aller lui raconter, si tu veux. Avec quelques détails bien corsés...

MICKY Quelqu'un se charge déjà de l'informer.

MEDLEY Qui ça?

MICKY La femme avec qui j'étais hier au club.

MEDLEY Elle sort de l'anonymat pour en dépiter une autre? Ce n'est pas de la malice, ça, c'est de l'inconsidération!

MICKY Non, Medley, tu n'y es pas. Cette femme me demande de renoncer à ma liaison avec Lovène; mais en même temps, elle ne voudrais pas que je la plaque de façon trop brutale. Elle va donc me fournir une occasion de me faire plaquer moi.

MEDLEY Très élégant.

MICKY Elle a l'intention d'aller rendre visite à Lovène un peu avant moi cet après- midi.

MEDLEY Elles sont amies?

MICKY Oh, intimes!

MEDLEY De mieux en mieux! Continue!

MICKY Elle va aiguiller la conversation sur moi, l'air de rien, et éveiller la jalousie de Lovène, jalousie qui d'ailleurs ne dort jamais bien profondément. Comme ça, elle me fondra dessus dès que j'arriverai. Il ne me restera plus qu'à en profiter pour avouer mon infidélité, lui dire de me laisser tranquille, lui reprocher d'être trop possessive, lui attribuer une liaison avec l'un ou l'autre des snobs qu'elle fréquente et la laisser en pâture au prochain amateur de génuflexions.

MEDLEY Ta nouvelle conquête m'a l'air aussi douée que toi pour les intrigues, Micky.

Entre SOULAMIN, le CORDONNIER et un COMMISSIONNAIRE.

MICKY [au COMMISSIONNAIRE] Toi, tu as beau ramper comme un chien qui a fait tomber un plat, je vais te jeter à la rue si tu continues à dormir la moitié de la journée. Tiens, mets ça sous enveloppe et va le porter tout de suite.

Le COMMISSIONNAIRE sort.

MEDLEY Pourquoi est-ce que tu lui envoies cet aimable billet, si tu es résolu à la dresser contre toi?

MICKY Pour qu'elle reste chez elle cet après-midi. [Au CORDONNIER.] Alors, poivrot notoire?

CORDONNIER Vous! C'est pas avec l'argent que tu vous me devez que je risque une gueule de bois.

MEDLEY D'après la marchande de fruits, tes voisins ont fini par remarquer que tu ne croyais pas en Dieu. Ils veulent te dénoncer à l'évêque pour que tu sois brûlé vif.

CORDONNIER Celle-là, quel tas de fumier! Si son mari ne nous en débarrasse pas, les paroissiens vont porter plainte pour pollution, tellement elle pue.

MEDLEY Ecoute un conseil d'ami et rentre dans le droit chemin! La débauche et la grossièreté sont des vices trop chers pour un cordonnier.

CORDONNIER Vous, les petits messieurs de bonne famille, vous voudriez être les seuls dépravés de toute l'Anglosaxie.

MICKY Arrête de faire de la politique, ou j'appelle la brigade anti-terreur.

CORDONNIER Ce que je dis est vrai. Et nos apprentis ne font plus qu'écouter vos chansons incendiaires, au lieu d'inoffensives romances.

MICKY Nos chansons incendiaires, insolent?

CORDONNIER Eh, vous êtes comme Jules César, faut toujours que vous fassiez vos commentaires.

MEDLEY Oho! On est cultivé, dans la chaussure, à ce que je vois.

Le CORDONNIER aide MICKY à enfiler ses bottes.

CORDONNIER Et d'une...

MICKY Tu devrais te voir! Tu es défiguré par l'effort.

CORDONNIER Votre protectrice aussi, elle a des rides, quand elle enlève son maquillage. Voilà! Poussez-moi ce pied dans sa maison! Tudieu! Le jour où l'un de vos beaux messieurs fera de l'ouvrage aussi élégant, je veux bien qu'on me tranche les oreilles avec mon propre couteau.

MEDLEY On les servira en ragoût à un symposium de cordonniers.

CORDONNIER Et voilà, chef! Je veux boire à votre santé. Donne-moi de quoi!

MICKY Occupe-toi mieux de ta famille! Ne laisse pas ta femme te suivre à la taverne, se battre avec ta putain et te ramener en triomphe!

CORDONNIER Je vis avec ma femme comme un gentleman, palsambleu! Je me fous de ce qu'elle trafique, elle ne me demande jamais où je vais. On se parle poliment, on se déteste cordialement, et pour éviter de macérer ensemble on a chacun notre canapé à part.

MICKY Tiens, ton argent.

MEDLEY Seulement s'il promet de rouler sous la table!

CORDONNIER Moi? Je ne bois pas, je déguste! [à SOULAMIN.] A la santé du patron, collègue!

MICKY Eh là! Ne débauche pas mes domestiques, tout de même!

CORDONNIER Clin d'oeil en passant! Il sait distinguer un bistrot d'un hangar.

Le CORDONNIER sort.

MICKY [à SOULAMIN] Vite, mes habits?

MEDLEY Où va-t-on déjeuner, aujourd'hui?

Entre BEAULOOK FILS.

MICKY Où tu veux. Voilà une troisième fourchette.

BEAULOOK FILS Volontiers.

MEDLEY Monsieur Beaulook, et ton ardente maîtresse, que va-t-elle dire? Elle ne sera pas contente que tu fréquentes des gens rationnels.

BEAULOOK FILS Je sais qu'elle va me pardonner, à mes risques et profits. Mais vous? Je vous ai un peu négligés, ces temps.

MEDLEY Je ne suis pas rancunier non plus. Je te souhaite de filer encore longtemps
le parfait amour avec elle.

BEAULOOK FILS Mais tu as plutôt l'air de me croire en route pour l'enfer.

MEDLEY Tu as la foi, donc tu es sauvé! Moi, je suis trop sceptique pour le mariage. A ta place, j'aurais trop peur de devenir cocu, je sombrerais dans le délire, comme tous ces soi-disant prophètes qui finissent à l'asile de fous.

BEAULOOK FILS Ce n'est pas parce que la religion fait des fanatiques qu'on doit tous vivre en athée.

MEDLEY Mais pourquoi vouloir changer d'état civil quand on pourrait être un heureux concubin?

BEAULOOK FILS Arrête de prêcher sur ce texte! Tu ne me déconvertiras pas du mariage.

MICKY [à SOULAMIN, qui accroche des rubans] Bon, je crois que je suis assez. beau comme ça. Tu me donnes le tournis.

SOULAMIN Un peu de parfum?

MICKY Je me contenterai de l'odeur de mon corps, aujourd'hui.

SOULAMIN Comme vous voudrez.

SOULAMIN sort.

MICKY Dire que la valeur d'un homme se mesure aujourd'hui à la complexité de ses noeuds de rubans! La vie devait être bien triste, avant toute ces frivolités.

MEDLEY Superbes vêtements, que tu as là, Micky!

MICKY Heureux de te plaire.

BEAULOOK FILS Tu dois être l'homme qui s'habille le mieux de toute l'Anglosaxie.

MICKY Tu vas me donner une trop haute opinion de mon génie.

BEAULOOK FILS Un grand critique dans ces matières vient de nous arriver tout fumant de Frouzie.

MEDLEY Tu parles sans doute de Sir Flashy Flop.

BEAULOOK FILS Précisément. Il dit qu'il est un parfait dandy.

MICKY Un parfait dindon, oui! Il a le cou tordu à force de regarder autour de lui pour voir si on l'admire.

MEDLEY Hier, il a poussé l'audace jusqu'à aller dans une boîte à théâtre, avec ses vêtements de marque et sa perruque effarante.

BEAULOOK FILS Sa dyslexie est si sympathique.

MICKY C'est sa façon de parler verlan.

MEDLEY Un lèche-bottes farci d'éducation.

BEAULOOK FILS Il s'est déjà mis à la recherche d'une compagne pour l'été. Je l'ai vu hier chez ma tante Laville. Il donnait un aperçu de son prestige à Mme Lovène, il lui expliquait qu'il s'habille bien, danse bien, boxe bien, se fait régulièrement épiler la poitrine et que ses lettres d'amour sont très belles.

MEDLEY Jolis ingrédients pour assaisonner un dindon!

MICKY Il tombe à pic. Je cherchais un rival à reprocher à Lovène.

BEAULOOK FILS Elle n'aime que toi, j'en suis bien sûr.

MICKY Un bonheur qui me serait déjà monté à la tête si je n'étais pas modeste de nature.

BEAULOOK FILS Medley, je peux dire deux mots à Micky en particulier? C'est un petit secret à propos d'une belle femme.

MEDLEY Ta politesse te cause trop de scrupules, Beaulook. Tu pouvais chuchoter sans faire tant de cérémonies.

BEAULOOK FILS [à MICKY] Où en es-tu, avec Bellinda?

MICKY C'est une petite délurée sans intérêt.

BEAULOOK FILS Oui, je crois qu'elle est un peu garce, mais ça devrait te convenir. Elle était avec toi, hier, en boîte. Je l'ai reconnue, malgré sa burquette.

MICKY On a fini par se disputer. Elle se faisait trop prier pour venir au rendez-vous que je lui proposais.

Entre SOULAMIN.

SOULAMIN [à BEAULOOK FILS] Monsieur Beaulook, il y a quelqu'un pour vous à la porte.

BEAULOOK FILS Je reviens tout de suite.

BEAULOOK FILS sort.

MEDLEY Joli garçon, ce Beaulook!

MICKY Beau, cultivé, un peu niais, mais tout à fait supportable.

MEDLEY Toujours bien vêtu et toujours aimable. Je vois que vous êtes devenus de grands amis, toi et lui.

MICKY C'est dans notre intérêt mutuel! Je l'introduis dans des milieux d'artistes, lui m'introduit chez des gens respectables.

MEDLEY Qu'est-ce que c'était que ces chuchotements?

MICKY Il voulait savoir une chose, mais j'ai préféré la lui cacher. Je ne veux pas le décourager de son honorable intention de mariage, moi.

MEDLEY Félicité fera peut-être une bonne épouse. Elle ne profite pas trop de sa beauté pour allumer les hommes.

MICKY Elle attend peut-être d'avoir un bon mari pour s'y mettre.

MEDLEY Tu crois? Je comprends enfin pourquoi tu encourages Beaulook dans sa fatale résolution!

MICKY Félicité célibataire offre peu de perspectives et mériterait de s'émanciper davantage.
Entre BEAULOOK FILS.
Beaulook! Je te croyais parti, ma parole. Les amoureux sont tellement inconséquents!

BEAULOOK FILS Si vous saviez ce que mon valet vient de m'apprendre!

MICKY Tu as l'air bouleversé. Raconte!

BEAULOOK FILS Mon père est ici, à Yorkenouille, et il a fallu qu'il aille se loger droit dans l'immeuble où Félicité séjourne.

MEDLEY Est-ce qu'il saurait que tu es amoureux d'elle?

BEAULOOK FILS Il a entendu dire que j'avais une amie, mais il ne sait pas son nom - à moins qu'un lèche-bottes ne m'ait trahi.

MICKY Sa soeur est dans la confidence, ta tante Laville.

BEAULOOK FILS De ce côté-là, je ne crains pas d'indiscrétions. J'ai rendez-vous chez elle avec mon père. C'est pour ça qu'il m'a fait porter cette lettre. Il écrit aussi qu'il va me présenter à une jeune fille riche, un bon parti, et il me prévient que si je ne suis pas sage, il me déshérite.

MEDLEY C'est inespéré, Beaulook! Un amoureux n'a pas si souvent l'occasion de prouver sa générosité.

BEAULOOK FILS Et comment, s'il te plaît?

MEDLEY Envoie ton père au diable, provoque-le pour qu'il réalise sa menace! Tout ce que tu risques, c'est de perdre tes voitures et de faire bien rire tes amis. Tu seras le héros de tous les ahuris!

BEAULOOK FILS Sale plaisanterie! Mais c'est vrai que je suis amoureux. Suffisamment en tout cas pour ne pas me marier du tout.

MICKY Ne nous prive pas de ton personnage romanesque!

BEAULOOK FILS Cette fois, je sens vraiment venir la tempête. Il faut que j'aille me rendre compte de la situation. Où allez-vous déjeuner?

MICKY Chez Boulliane ou au Médaillon.

MEDLEY Disons chez Boulliane.

BEAULOOK FILS Je viendrai vous rejoindre si mes malheurs ne me rendent pas infréquentable.

BEAULOOK FILS sort.
Entre un COMMISSIONNAIRE avec une lettre.

COMMISSIONNAIRE [à MICKY] Une lettre pour vous.

MICKY L'adresse est correcte: "Pour monsieur Micky".

MEDLEY Voyons! Authentiques gribouillis et orthographe de prostituée.

MICKY Je connais l'écriture. Le style n'est pas mal, je t'assure.

MEDLEY Lis-la-moi, veux-tu?

MICKY [lisant] "Votre noblesse, je savais que vous alliez m'oublier. Si vous m'aimeriez comme vous l'aviez dit, vous seriez revenu voir votre petite occasionnelle. Hélas je suis très fauchée et déprimée. Auriez-vous la généreusité de m'envoyer trois pièces d'or pour voir la belle musique d'opéra. Dans l'espoir d'une réponse favorable, veuillez croire à mon plus grand besoin. Yasmine."

MEDLEY Tu vas me faire le plaisir d'accéder à sa demande, pour qu'elle puisse s'offrir une loge et faire honneur à sa profession.

MICKY Ne t'en fais pas, elle va épater la galerie. [A SOULAMIN.] Le deux-chevaux est à la porte?

SOULAMIN Vous ne m'aviez pas dit de le faire atteler.

MICKY Triple buse!

SOULAMIN Vous m'avez parlé, monsieur?

MICKY Oui monsieur, et j'espère que vous n'allez pas porter plainte pour discrimination, monsieur.

SOULAMIN Je ne suis pas une buse, monsieur.

MICKY Un bougre d'âne, alors, peut-être. Comment es-tu venu, Medley?

MEDLEY En chaise à porteurs.

MICKY Appelle une autre chaise, Soulamin! Et dis au chauffeur d'aller me rejoindre chez Boulliane avec le deux-chevaux!

Le COMMISSIONNAIRE et SOULAMIN sortent.
MICKY et MEDLEY sortent en chantant.







L'EVEIL DU PRINTEMPS

de Frank Wedekind


Tragédie enfantine
(écrite entre l'automne 1890 et Pâques 1891)

Traduction non publiée d'Elsa Wack et Micky Zimmermann
Traductions existantes: François Regnault, Gallimard
Renée Wentzig, Yves Beaunesne, Actes Sud (adaptation)

A l'homme masqué.
L'auteur
.

PREMIER ACTE
scène 1


WENDLA Pourquoi me l'as-tu faite si longue, cette robe, maman?

Mme BERGMANN Tu as quatorze ans aujourd'hui!

WENDLA Si j'avais su que tu ferais ma robe si longue, j'aurais mieux aimé ne pas les avoir.

Mme BERGMANN Cette robe n'est pas trop longue, Wendla. Qu'est-ce que tu veux? Qu'est-ce que j'y peux, si mon enfant fait deux pouces de plus à chaque printemps? Tu es une grande fille maintenant, tu ne vas pas t'exhiber dans ta robe d'enfant.

WENDLA Elle me va mieux que cette chemise de nuit. - Laisse-moi encore la porter, maman! Juste cet été. Que j'aie quatorze ou quinze ans, ce sera toujours assez tôt pour enfiler cette robe de pénitente! - Oublions-la jusqu'à mon prochain anniversaire. De toute façon, je vais marcher dessus.

Mme BERGMANN Que faut-il dire? Je te garderais bien comme tu es, fillette. Il y en a tant qui sont empotées, à ton âge... Toi, c'est le contraire. - Qui sait ce tu seras, quand les autres se seront dégauchies?

WENDLA Qui sait - je ne serai peut-être plus rien.

Mme BERGMANN Oh! Mon petit, où vas-tu chercher de telles idées?

WENDLA Non, maman; pas de tristesse.

Mme BERGMANN Mon coeur !

WENDLA Ces idées me viennent la nuit, quand je ne dors pas. Je les aime et elles me bercent. - Est-ce que ce sont de mauvaises pensées, maman?

Mme BERGMANN Allez, range ta robe de pénitente! Et pour l'amour du ciel, remets l'ancienne! J'y coudrai un volant pour la rallonger.

WENDLA, remettant la robe dans l'armoire Ah non, alors! Du coup, j'aimerais avoir vingt ans bien sonnés.

Mme BERGMANN Pourvu que tu n'aies pas froid ! En son temps, ta petite robe était assez longue; mais...

WENDLA C'est bientôt l'été! - Oh maman, je ne suis pas si délicate! Même un tout petit ne meurt pas d'avoir les genoux à l'air! Cesse de t'inquiéter. Je ne suis pas une petite vieille grelottante. Est-ce qu'il vaut mieux avoir trop chaud, maman? - Tu devrais plutôt prier le bon Dieu que ton petit coeur ne te revienne pas un soir avec les manches coupées, et sans bas ni chaussures!- Quand je porterai ma robe de pénitente, j'irai comme une reine des elfes, sans rien en dessous... On ne gronde pas, maman ! Personne n'y verra rien.

Acte I, scène 2

Le dimanche soir

MELCHIOR Ce jeu ne m'amuse plus. J'arrête.

OTTO Alors, on arrête tous. Tes devoirs sont faits, Melchior?

MELCHIOR Continuez sans moi!

MORITZ Où vas-tu?

MELCHIOR Me promener.

GEORG La nuit tombe!

ROBERT Tes devoirs sont faits?

MELCHIOR Et pourquoi n'irais-je pas me promener la nuit?

ERNST L'Amérique centrale! Louis Quinze! Soixante vers d'Homère! Sept équations!

MELCHIOR Maudits devoirs!

GEORG Et le latin, par-dessus le marché!

MORITZ Toujours les devoirs! On ne peut penser à rien!

OTTO Je rentre.

GEORG Moi aussi, faire mes devoirs.

ERNST Moi aussi, moi aussi.

ROBERT Bonne nuit, Melchior.

MELCHIOR Salut, faites de beaux rêves!
Tous s'éloignent sauf Moritz et Melchior.

MELCHIOR J'aimerais quand même comprendre ce qu'on fait dans ce monde.

MORITZ L'école! J'aimerais mieux être une bourrique. - Pourquoi va-t-on à l'école?- Pour rater des examens! - Il en faut sept qui les ratent, parce que la classe du dessus n'a que soixante places. - Je me sens si drôle, depuis Noël... Je te jure, si ce n'était pas pour papa, je partirais m'embarquer à Altona aujourd'hui même!

MELCHIOR Parlons d'autre chose. - Ils se promènent.

MORITZ Regarde le chat noir, là-bas, il a la queue toute hérissée!

MELCHIOR Tu crois aux présages?

MORITZ Je ne sais pas trop. - Il est venu de là-bas. Ça ne veut rien dire.

MELCHIOR Echapper au délire religieux pour s'empêtrer dans la superstition! - Asseyons-nous ici, sous le hêtre. Le vent du dégel balaie les montagnes. J'aimerais être une nymphe, là-haut dans la forêt, me laisser bercer et balancer aux cîmes des grands arbres toute la nuit.

MORITZ Déboutonne ta veste, Melchior!

MELCHIOR Ha - comme les habits se gonflent !

MORITZ Il fait vraiment noir comme dans un four. Où es-tu au juste? - Dis, Melchior, tu ne crois pas que la pudeur des hommes est un produit de leur éducation?

MELCHIOR J'y pensais encore avant-hier. Elle m'a l'air bien profondément enracinée dans la nature humaine. Imagine-toi devoir te déshabiller devant ton meilleur ami. Tu ne le feras pas s'il ne le fait pas en même temps. - Encore que ce soit aussi une question de mode.

MORITZ Je me suis dit que si j'avais des enfants, des garçons et des filles, ils grandiraient en partageant la même chambre, et le même lit, si possible; ils s'aideraient matin et soir à s'habiller, à se déshabiller, et à la saison chaude, les garçons comme les filles porteraient juste une tunique en étoffe de laine blanche, avec une ceinture de cuir. - Il me semble qu'ensuite ils auraient une adolescence plus tranquille que la nôtre.

MELCHIOR Ça, Moritz, j'en suis sûr! Il n'y a qu'un problème: qu'est-ce qui arrivera quand les filles auront des enfants?

MORITZ Des enfants? Pourquoi?

MELCHIOR Parce que je crois à un certain instinct. Par exemple, enferme un chaton mâle avec une chatonne et laisse-les grandir entièrement livrés à l'instinct - je crois que tôt ou tard, la chatte sera grosse, bien que ni elle ni le mâle n'aient eu d'exemple.

MORITZ Chez les animaux, ça arrive tout seul, je pense.

MELCHIOR Chez les hommes d'autant plus, si tu veux mon avis ! Dis-moi une chose, Moritz: si tes garçons couchent dans le même lit que les filles et qu'ils ont tout à coup leurs premiers raidissements d'excitation - je parierais bien avec n'importe qui...

MORITZ Tu as peut-être raison. - Mais quand même...

MELCHIOR Et avec tes filles, à l'âge correspondant, ce serait exactement la même chose! Non pas que les filles aient vraiment... On est un peu mal placé pour en juger... Enfin, il est à supposer... D'ailleurs, la curiosité finirait bien par jouer son rôle!

MORITZ Juste une question, en passant...

MELCHIOR Eh bien?

MORITZ Mais tu répondras?

MELCHIOR Naturellement!

MORITZ Vrai?

MELCHIOR, lui tendant la main Parole. ...Eh bien, Moritz?

MORITZ Tu as fini ta composition latine?

MELCHIOR Viens-en au fait, voyons! ...Ici, personne ne nous entend ni ne nous voit.

MORITZ C'est qu'évidemment, mes enfants devraient travailler la journée, dans la cour et au jardin, ou se distraire avec des jeux physiquement astreignants. Ils devraient faire du cheval, de l'acrobatie, grimper, et surtout ne pas dormir sur du mou comme nous. Nous sommes terriblement ramollis. Je ne crois pas qu'on rêve, quand on dort sur du dur.

MELCHIOR Moi, dorénavant, jusqu'à la fin des vendanges, je dors dans mon hamac. J'ai plié mon lit et je l'ai coincé derrière le fourneau. ...L'hiver passé, j'ai rêvéque j'avais fouetté notre bidet si longtemps qu'il ne pouvait plus remuer un membre. C'est le pire cauchemar que j'aie jamais eu. ...Pourquoi me regardes-tu comme ça?

MORITZ Tu en as déjà eu?

MELCHIOR Eu quoi?

MORITZ Tu disais comment?

MELCHIOR Des raidissements d'excitation?

MORITZ Mm-hm.

MELCHIOR Bien sûr.

MORITZ Moi aussi.......

MELCHIOR Je connais ça depuis longtemps ! - Bientôt une année, déjà.

MORITZ C'était comme si la foudre m'avait touché.

MELCHIOR Tu avais fait un rêve?

MORITZ Oui, mais très court... Des jambes en collant bleu ciel qui montaient sur le pupitre du maître... Pour être franc, elles allaient l'enfourcher. - J'en ai eu une vision si fugitive.

MELCHIOR Georg Zirschnitz a rêvé de sa mère.

MORITZ Il t'a raconté ça?

MELCHIOR Sur le chemin du calvaire quotidien.

MORITZ Si tu savais ce que j'ai enduré, depuis cette nuit-là !

MELCHIOR Des remords de conscience?

MORITZ Des remords? - - - Une angoisse mortelle !

MELCHIOR Nom de Dieu...

MORITZ Je me croyais perdu. Je pensais que j'avais une infection à l'intérieur. Finalement, la seule chose qui m'ait apaisé, ç'a été de commencer à écrire mes mémoires. Oui, oui, cher Melchior, ces trois dernières semaines, j'ai souffert un martyre.

MELCHIOR Moi, à l'époque, je savais plus ou moins à quoi m'en tenir. J'ai eu un peu honte... Mais c'est tout.

MORITZ Dire que tu as presque une année de moins que moi!

MELCHIOR A ta place, je ne m'en ferais pas pour ça, Moritz. Je crois savoir que ces fantômismes n'émergent pas à un âge précis. Tu connais le grand Lämmermeier, le blond filasse au nez aquilin? Il a trois ans de plus que moi. D'après Iani Rilow, il ne rêve toujours que de choux à la crème et de gelée d'abricots.

MORITZ Qu'est-ce qu'il en sait, Iani Rilow?

MELCHIOR Il lui a demandé.

MORITZ Il lui a demandé? Jamais je n'aurais osé poser cette question.

MELCHIOR Tu me l'as bien posée.

MORITZ Dieu sait que oui! Peut-être que Iani Rilow aussi avait déjà fait son testament... On est les pions d'un bien drôle de jeu. Et on est censé se montrer reconnaissant! Je ne me rappelle pas avoir été en mal de ce genre d'exitations. Pourquoi ne m'a-t-on pas laissé dormir tranquille jusqu'à ce que tout se soit de nouveau calmé? Mes chers parents auraient pu avoir des tas d'enfants meilleurs. C'est moi qui suis venu, je ne sais pas comment, et je dois porter la responsabilité de m'être présenté! - Melchior... Tu y as déjà réfléchi? Qu'est-ce qui s'est passé pour qu'on se fasse prendre dans cette drôle de spirale?

MELCHIOR Alors, tu ne sais pas encore ça, Moritz ?

MORITZ Comment le saurais-je? Je vois bien que les poules pondent des oeufs, et il paraît que maman m'a porté dans son ventre. Mais qu'est-ce que ça explique? - Je me souviens que, quand j'avais cinq ans, j'avais déjà une drôle d'impression quand quelqu'un jouait une dame de coeur, à cause du décolleté; ce sentiment a passé. Par contre, aujourd'hui, je peux à peine parler à une fille sans imaginer des choses ignobles, et - Melchior, je te jure que je ne sais pas quoi.

MELCHIOR Je vais tout t'expliquer. - J'ai appris tout ça dans des livres, par des illustrations, par mes observations dans la nature. Tu vas être surpris; moi, à l'époque, j'en suis devenu athée. Je l'ai aussi dit à Georg Zirschnitz! Georg Zirschnitz voulait le dire à Iani Rilow, mais Iani Rilow savait déjà tout depuis longtemps, à cause de sa gouvernante française.

MORITZ J'ai épluché le petit dictionnaire Meyer de A à Z. Des mots - rien que des mots et encore des mots! Pas une explication claire. Oh cette pudeur! A quoi bon une encyclopédie universelle qui ne répond pas à la question la plus élémentaire?

MELCHIOR Tu as déjà vu deux chiens courir en travers de la rue?

MORITZ Non!... Aujourd'hui, ne me dis encore rien. J'ai l'Amérique centrale et Louis Quinze en perspective. Sans compter les soixante vers d'Homère, les sept équations, la composition latine... Demain, je sècherais de nouveau pour toutes les questions. Pour réussir à bosser, il me faut des oeillères, comme à un boeuf.

MELCHIOR Viens, montons dans ma chambre. En trois quarts d'heure, je nous expédie Homère, les équations et deux compositions. Je glisse une ou deux inattentions dans la tienne, et le tour est joué. Maman nous concoctera une de ses limonades, et nous bavarderons tranquillement de la reproduction.

MORITZ Je ne peux pas. - Je ne peux pas bavarder tranquillement de la reproduction!Si ça ne te fait rien, initie-moi par écrit. Ecris pour moi ce que tu sais. Sois aussi concis et clair que possible; tu cacheras ça dans mes livres demain, pendant l'heure de gymnastique. J'emporterai ça à la maison sans le savoir. Je tomberai dessus un jour, à l'improviste. Je ne pourrai pas m'empêcher d'y jeter un coup d'oeil las... Si c'est vraiment indispensable, tu peux faire quelques dessins dans la marge.

MELCHIOR Tu es une vraie fille. - Enfin, comme tu voudras! Moi, c'est un travail qui m'intéresse. - Juste une question, Moritz.

MORITZ Mmh?

MELCHIOR Tu as déjà vu une fille?

MORITZ Oui!

MELCHIOR Mais en entier?

MORITZ En entier.

MELCHIOR Eh bien, moi aussi. - Donc, pas besoin d'illustrations.

MORITZ Pendant la fête du tir, je me suis glissé dans le musée d'anatomie. Si on l'avait su, on m'aurait chassé de l'école. - Belle comme le jour, et - oh, d'une vérité !

MELCHIOR Moi, c'était l'été dernier, j'étais à Francfort avec maman. - - Tu veux déjà partir, Moritz?

MORITZ Faire mes devoirs. - Bonne nuit.

MELCHIOR Au revoir.



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